15 minutes, c'est le temps pile entre le moment où je suis entrée dans cette chambre et le moment où ce bébé a complètement émergé du corps de sa mère. Il était 15h quand elle m’a écrit après son rendez-vous médical. On lui avait mis un rendez-vous d'office pour un déclenchement le mardi d'après. Elle a dit non, mais on lui a dit oui. Bébé allait bien, Maman aussi. Le « terme » selon une date « prévue » d’accouchement n’était même pas encore là et pourtant, elle ressentait une pression d'enfanter maintenant pour ne pas être déclenchée. On s'en était parlé, elle savait, on a retissé le fil de l'histoire, les possibilités qu'elle pouvait rejoindre. Mais ce RDV était là, même annulé, la parole était posée en elle. "Faut que je t'accouche de ce bébé là!" lui a t'on-dit. Elle voulut alors monter et descendre l'escalier, manger de l'ananas, manger épicé, prendre des herbes, tenter des choses. Et je lui ai demandé: “Et te reposer? Penses-tu que regarder un film que tu aimes avec un repas qui te plaît, sous une doudou dans ton canapé, pourrait te faire du bien?” « Oh oui, je suis tellement fatiguée.» répondit-elle. Parfois, le simple fait de relâcher complètement dans un espace sécuritaire, sous sa doudou, dans un moment de plaisir pouvait permettre de dire oui complètement à l'ouverture. Ce corps regagnait en énergie. Le mental s’apaisait. La pression descendait. Et cette énergie gagnée était si précieuse pour enfanter. C’est ce que mon cœur soufflait, c’est ce que ma théorie pensait, mais qu’en était-il en vrai...? Pour elle? Son histoire? Qu’en était-il réellement dans son réel à elle ? Plus tard en soirée, elle m'a écrit. Elle s'était mis un bon film, se reposait et ça lui faisait tellement de bien. Je sentais à distance qu'elle se laissait porter par le flot de la détente. Mais même si je sentais, ce sont toujours elle et ses mots qui ont été la confirmation de ce qui était vraiment. Car elle savait. Elle savait ce qui serait bien pour elle, elle savait et moi je ne savais pas, je l'écoutais. Je pouvais suggérer, je pouvais penser, ressentir, mais c'est elle qui me dirait au final sa vérité et son réel. 22h et quelques. « ça contracte dans le dos pas mal mais ce n’est pas encore maintenant » m'écrit-elle. Aussitôt, je plongeais dans mon lit, Lionel m'accompagnant avec la sonothérapie pour m'endormir. C’est que mon cœur battait vite. Je ne compris pas pourquoi immédiatement mais grâce au son, je m'apaisais et m'endormis. 1h47 du matin, le téléphone sonna. C'est elle. C'est le temps. "Viens-t'en" qu'elle me dit. "J'arrive" lui répondis-je. À peine le temps de téter mon dernier, mes affaires déjà préparées, tout était déjà dans ma voiture. Je quittais les miens avec mon 18 mois en pleurs de « je veux maman, je veux téter ». Lionel le réconforta et quelques minutes plus tard, m'écrit avec attention qu'il s’était rendormi, de me laisser porter à mon tour et de ne porter que cet espace de doula pendant que lui prendrait soin du nôtre à la maisonnée. Dans mon véhicule, musique de réveil ambiançante, je comprenais soudainement les battements de mon cœur plus tôt dans la soirée. Je comprenais que je l'avais senti, cette enfant qui descendait dans le corps de sa mère. Je comprenais que nous étions déjà liées par cet espace de la naissance. J'ai bien pensé en roulant à 2h du matin, dans la brume et l'attention encore en éveil de ne pas frapper un animal alors que les cervidés étaient de sortie, que je ne serais pas à temps pour la naissance. Cela aurait été la première fois, mais je me ressaisis en sachant que le plan de l'entre Terre et Ciel dessinait bien au-dessus de moi le schéma de cette naissance. Après tout, j'étais liée à cet univers intangible et plus grand. Si je ne devais pas être là, c’est peut-être que ça devrait être ainsi. Confiance. Je savais que ma petite personne pouvait à distance accompagner l'espace ouvert de ce passage. Appeler ses maîtres d'incarnation, éveiller l'ancestralité, appeler la guidance pour que la fluidité de son arrivée se fasse dans cette conscience de l'invisible. Je pouvais prendre soin de cela, moi, la doula. Cela pouvait paraître si simple et pourtant combien de personne le considérait suffisamment dans toute la puissance de l'incarnation pour qu'un.e humain.e à la fois, le monde puisse incarner sa splendeur en lien avec le vivant. Finalement, je suis arrivée. Il était 2h45. Chaque minute me paraissait une éternité. Le grand tunnel blanc pandémique pour entrer à l'hosto, le questionnaire de l'infirmière à propos du virus, l'ascenseur pour monter. Il était 2h50, lorsque j'ai passé la porte. Immédiatement, j'ai compris qu'observée sous 5 paires de yeux dans cette grande lumière blanche provenant de néons, il fallait que nous puissions nous connecter rapidement. Le temps d’enlever mon manteau, poser mes affaires et installer 6 bougies pour rendre cette chambre un peu plus accueillante pour ce nouvel enfant venant à notre rencontre sur Terre, j'ai rapidement plongé mon regard en elle assez profond pour que son cœur le perçoive en quelques secondes. J'ai entendu le cœur de cette enfant depuis la veille comme si l'on m'avait mis un stéthoscope dans mes oreilles, mon regard avait dépassé le cœur de sa mère pour rejoindre aussi celui de cette merveille depuis bien plus longtemps déjà que je ne le savais moi-même. Puis, quelques secondes, des grognements soudain et une tête émergente plus tard… …il est 3h05 quand l'enfant vient au Monde. Constatant encore une fois, la beauté de la vie dans ce qu'elle est d'extraordinaire. La force, chaque fois, peu importe l'histoire dans toutes les nuances qu'elles peuvent avoir, et ce qu'elles révèlent tout le temps. La suite n'est pas aussi fleurie que ce début d'histoire. La violence obstétricale fait aussi partie de mon métier. Le savoir, le voir, ajuster ma posture, trop souvent... Ne pas devenir sauveuse, ne pas vouloir inconsciemment devenir l'héroïne de l'histoire même lorsqu'il s’agit d’être la première accompagnante. Accompagner dans la justesse parfois ambiguë et questionner comme les doulas savent souvent le faire dans leurs habilités de la relation humaine afin de naviguer entre posture de pouvoir et enfantement. Des enjeux, il y en a… Accueillir le placenta avec honneur, préciser d’attendre avant de l’emmener. Prendre le temps sacré d’une empreinte de cet organe magistral. Le remercier, lui apporter de la douceur, sentir la puissance de sa médecine, dire au revoir. Féliciter, câliner, prendre soin jusqu'à mettre les couches de post-partum près de la toilette, ranger les vêtements dans chaque tiroir, amener les collations à portée de main. Bref, prendre soin dans toutes les sphères du tangible et de l'intangible avant de quitter. Puis, il me fallait rentrer chez moi. 50 minutes de route au petit matin. Réfléchir encore dans les hormones de l'enfantement si je peux conduire selon mon état de fatigue. Juger que je peux rentrer, mais rester à l'écoute du moindre changement pour m'arrêter. Sleeping bag toujours prêt. Un café à l'ouverture du Tim pour la route retour. De la musique à fond pour évacuer et me maintenir éveillée. Arriver chez moi, souffler un grand coup, regarder la couleur du ciel, sentir la brume matinale, l’odeur de sa fraîcheur et de la terre humide, passer la porte, revêtir la maman que je suis, accueillir mon grand bébé qui finalement n'a pas tant dormi, être deux parents épuisés, couler un bain chaud au petit matin, réceptionner les deux plus jeunes pour un bonjour particulier au goût du au revoir avant un dodo bien souhaité! Se réveiller et se rappeler l’expérience, ces images, ces mots, ces ressentis, qui nous rentrent dans le corps et dans l'esprit. Les jours d'après seront encore porteurs de ce soin que je dois m’apporter comme doula, comme humaine, dans cet espace encore flottant. Des jours d’écoute attentive diurne et nocturne à travers mes rêves porteurs de messages pour cette initiation du corps et de l’esprit traversée. Des événements dont je suis témoin, parfois magiques, parfois traumatisants, parfois réveilleurs de mon histoire, de sa beauté comme de sa vulnérabilité. Des évènements parfois réconfortants, parfois douloureux. Parfois toutes ces nuances en même temps, parfois non. Mais toujours tous les possibles, chaque fois! Chaque naissance différente. Chaque histoire unique. Chaque fois initiatique. Chaque fois, mourir et renaître doula. Chaque fois! Et chaque fois encore, se déposer dedans, le temps d’un moment et retoucher la foi. Parfois immédiatement, parfois en quelques jours, bref. Chaque fois, la vie qui revient dans ses forces et ses convictions, la foi étincelante que chaque dose d’amour porté dans ce passage, avec conscience, un pied de chaque bord dans le visible et l’invisible, aura été semé dans le coeur de cet enfant dont le Monde est son futur. Et puis, il y a ce cadeau, ensuite, lorsque je revois les parents. Pas de matériel, loin de là. Le cadeau d'une histoire de naissance qui s’est écrite dans l’univers, où l'amour et la bienveillance se sont fait ressentir par une simple présence. Une présence du cœur et de l'être. Une présence rassurante, une présence qui croit, une présence qui soutient, une présence qui aime. Car à la suite de son histoire de naissance, elle les a entendu.e.s qui parlaient dans le couloir de l’hôpital, la journée de son enfantement, alors qu'assommée de questions sur sa situation monoparentale et administrative, elle voulait simplement se reposer. Iels disaient « Elle lui fait confiance, c'est pour cela qu'elle lui parle.» en parlant de moi, sa doula. Iels n'avaient pas compris que c'est moi qui lui faisait confiance et que de cet angle, la notion de la confiance n'était plus la même. Car ainsi, la confiance n’était pas dans un sens unique et autrement que dans un rapport de domination et de force. Cette confiance, c’est celle qui me permettait parfois sans échange verbal de poser ce geste. Ce geste qui pouvait faire la différence de ce nouveau récit inscrit dans notre Monde. La différence d’un regard profond, d’un verre d'eau, d’une lumière tamisée. La différence d’écouter, d’entendre et de croire dans la conscience de la vie. Cela n'était peut être qu'un détail pour vous mais pour moi ça voulait dire beaucoup. *Tu vois des fautes d'orthographes? Chut, fais pas attention, maman allaitante de 3 enfants unschooling, j'écris avec une main et un sein sur mon clavier collant de bon lait parfois un peu trop tard le soir !
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AuteurAccompagnante aux passages de vie passionnée, vous pouvez aussi me suivre sur les réseaux sociaux @Tiffa La Doula. Archives
October 2024
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